Il nous reste exactement une semaine avant notre départ de Constable Point pour l’Islande. Le compte à rebours a commencé. Mais paradoxalement, sans bateau, nous n’avons jamais été aussi immobiles. Dehors le vent souffle. Abrités dans notre cabane, la grande pièce de vie offre une vue unique sur les icebergs, des petits glaçons emportés par le courant aux énormes vaisseaux de glace dont les falaises inspirent tant Evrard. Il en a les piolets qui le démangent de se lancer à l’assaut de ces parois bleutées, crampons aux pieds !
De jour en jour, le vent forcit. Nous sommes bien conscients d’avoir eu un été exceptionnel jusqu’à ce jour – presque pas de pluie, pas de neige et très peu de vent. Un peu de météo capricieuse serait bien naturel! L’année précédente, l’été dans le Scoresby avait été froid, humide, brumeux, nuageux… bref difficile.
Les glaces du fjord ne s’étaient que brièvement ouvertes et ceux qui y avaient aventuré leur bateau ne dormaient pas sur leurs deux oreilles. Cette année, donc avons donc eu de la chance avec la météo. De la chance ? Think again. Le Groenland a connu cet été des records de températures et de fonte de la calotte glaciaire, ainsi qu’une certaine sécheresse sur la côte Sud-Est. La moyenne terrestre dans le premier semestre 2016 a également connu des records, de même que la fonte de la banquise arctique (source : NASA)
Finalement, Evrard cède à l’appel de la glace et part avec Aurélie en reconnaissance. Juste en face de la cabane, un gigantesque iceberg a dérivé il y a quelques jours, et, heurtant un haut-fond, s’est échoué là. Ses parois, un réseau d’aspérités précisément dessinées, font peut-être plusieurs dizaines de mètres de haut. Il peut rester bloqué ici des mois, voire des années. Nous voyons peu d’effondrements, il semble donc stable et – autant que peut l’être un iceberg – sûr.
Profitant d’une accalmie, les kayaks sont mis à l’eau rapidement. Evrard et Aurélie s’élancent et, en une vingtaine de minutes, traversent le bras d’eau qui sépare le rivage du pied de l’iceberg. Les embarcations semblent minuscules au pied de ces belles parois. Nous revoyons à la hausse nos estimations. Au bord des falaises de glace, le son est fascinant. La glace craque, fond, ruisselle de gouttelettes qui crépitent sans cesse dans la mer. La glace immergée, elle, est effervescente. Les vagues claquent sur ses flancs et le ressac fait danser la myriade de glaçons qui flottent autour de l’iceberg.
La paroi a l’air solide et bien verticale. De plus, une petite crique permet d’« accoster » et donc de prendre pied sur l’iceberg facilement, au lieu d’attaquer la paroi directement du kayak avec les crampons au pied – ce qui aurait de fortes chances de faire chavirer l’embarcation. Mais l’escalade d’iceberg en plein fjord ne sera pas pour cette année … La mer, jusque là encore gérable, s’agite et le clapot s’accentue.
Sentant le vent se renforcer, les kayakistes décident de tourner le dos à l’iceberg et de rentrer vers la côte. Mais à peine ont-ils quitté la proximité de l’iceberg que le vent et le courant les déportent presque à 90° du cap qu’ils ont pris sur la cabane. La lutte contre les vagues est épuisante, le risque de chavirer, bien réel, demande une attention constante sur ces kayaks extrêmement mobiles. Pour soulager Aurélie qui fatigue, Evrard fixe un bout entre les deux kayaks, et les voilà qui repartent de plus belle, faisant danser les pagaies au milieu du ballet des vagues.
Au-dessus de la cabane, Laurent surveille les kayakistes aux jumelles. Par radio, il prévient Gaëlle et Philippe de préparer les combis. Si l’un des kayaks chavire, il enfilera la sienne, et les rejoindra à la nage pour leur donner un coup de main. Chavirer dans ces eaux glaciales sans combis n’est déjà pas anodin, mais remonter sur un kayak qui roule sur l’eau est un vrai challenge !
Finalement, les kayaks parviennent à franchir la moitié du bras de mer, et atteignent une zone abritée du vent. A peine une dizaine de minutes plus tard, ils touchent la côte à plusieurs centaines de mètres à l’est de la cabane.
Les jours passant, nous prenons l’habitude du passage de la faune locale. Des phoques annelés passent régulièrement devant les rochers ou plus au large au milieu des icebergs. Certains sont si gros que, dans notre désir de voir des narvals, nous manquons de les confondre avec des cétacés! Toute l’équipe est alors sur le qui-vive jusqu’à que l’alerte soit levée.
Quand le vent est plus calme, Laurent initie à la plongée en eaux glacées. Les combinaisons en néoprène fournies par Topstar permettent d’évoluer des heures dans l’eau en sentant à peine le froid. Une belle manière de s’imprégner du milieu sans en prendre la température.