C’est au petit matin qu’Evrard a commencé à préparer ses affaires, en silence. Sur son dos, un sac de plus de 25 kilos pour un périple d’une centaine de kilomètres aller-retour. Un retour qui sera bien plus léger sans ce sac bien trop lourd. Le chef du projet Mission Scoresby doit quitter le calme du camps de Gurrenholm le samedi 23 juillet pour un portage vers un lieu, plus sauvage encore, au nord du Jameson Land : Coloradodal et Orsted Dal, points névralgiques de populations de boeufs musqués et donc potentiellement de loups arctiques.
Il aide ainsi les biologistes Nicolas Gaidet et Tanguy Daufresne, qui partent observer ces espèces pour tenter d’évaluer leur répartition géographique et leur densitée pendant une dizaine de jours. « L’ennui quand on veut rester longtemps et en autonomie, c’est qu’il faut de quoi manger. Et ils ne pourront pas tout porter. » Dans son sac, donc, sept jours de nourriture pour subsister, une tente, un réchaud, pour un trajet incertain à travers la toundra, ses immenses vallées et ses prairies. « Je ne connais pas le parcours, je sais juste que cette vallée, qui se dirige plein nord, longe un cours d’eau qui draine toute la chaîne des Stauning Alps. La marche ne sera pas difficile mais il va falloir traverser quelques rivières, et c’est ce qui m’inquiète le plus. En général, on ne traverse pas des rivières tout seul. »
Sur sa route, des rencontres possibles avec des bernaches, des sternes arctiques ou encore des renards arctiques pour les plus inoffensifs, mais aussi des boeufs musqués « qui peuvent être agressifs, surtout si on les surprend », et donc potentiellement des ours polaires. « Si l’on compare ce type de milieu à une forêt tropicale, il n’y a pas beaucoup de danger. Mais il y a ce prédateur, qui fait très peur. Il y a quelques jours, nous sommes allés à la rencontre d’un campement inuit installé à un quart d’heure d’ici, près de Syd Kap. Ils ont tués un ours. Donc il y en a. »
Le fusil solidement accroché au sac, Evrard se concentre quelques instants, absorbé. La marche peut durer une vingtaine d’heures. Un voyage long, très long qu’il compte bien terminer au plus vite. « Pour le retour, il y a un truc qui va m’aider : je vais longer une rivière et il se pourrait que j’utilise mon petit bateau pour pouvoir redescendre. Je pourrais ainsi économiser 8 à 10 heures de trajet. »
Le portage seul, Evrard l’a déjà expérimenté « pour venir en aide à quelqu’un par exemple. Mais cette fois-ci, les distances sont monstrueuses ». Son allié, ce soleil qui persiste à ne pas vouloir se coucher, transformant ses nuits en des jours sans fin. Et l’envie, aussi. Celle de vivre la nature à « l’état brut ». « C’est quelque chose qu’on a complètement perdu chez nous. Ces natures peuplées de prédateurs, où l’homme n’est pas le maître des lieux. Ca peut-être stressant, mais c’est le stress du chasseur massaï dans sa forêt. »
Enfin prêt, Evrard s’éloigne du camps. Le voilà déjà loin à l’horizon, où craquent des icebergs dans un vacarme grandiose, accompagnant ce départ solitaire vers des contrées inconnues.