Installés dans la cabane de Sydkap depuis maintenant plusieurs jours, nous y avons bien pris nos marques. Dans cet endroit exposé aux éléments, le vent, le soleil et les nuages changent radicalement le paysage à chaque moment de la journée. Pendant que Laurent maintient une veille quotidienne sur le fjord pour apercevoir les narvals, notre logistique ‘nautique’ commence à montrer ses faiblesses.
En déplaçant le camp ici, notre intention est de faire de brèves incursions en amont dans Nordvestfjord, où un petit avion de reconnaissance a aperçu courant août 18 groupes de narvals… 18 groupes de narvals, ce n’est pas un comptage très précis, mais ça peut faire une bonne centaine d’individus ! Peut-être leur présence s’explique-t-elle par la proximité du Parc national : le réseau supérieur de Nordvestfjord est situé dans l’enceinte du parc et donc hors d’atteinte des chasseurs. De plus, Sydkap, tout comme Harefjord auparavant, nous donne accès à une vue dégagée sur plusieurs fjords. Bref, le spot idéal pour apercevoir le dos noir et le jet du cétacé qui souffle.
Les cabanes du Groenland (ou « huttes » comme en danois) sont peut-être la réponse moderne à la sédentarisation des Inuits, traditionnellement nomades. On en trouve en quelques endroits du Scoresby Sund, et le confort qu’elles procurent contraste avec la nature autrement complètement sauvage où elles sont situées. Anciennes maisons construites lors d’expéditions scientifiques ou de vaines tentatives d’exploitation commerciale des ressources naturelles (halieutiques et minières), elles sont aujourd’hui entretenues (relativement parlant) par les autorités locales et utilisées par les Inuits lors de leurs longues chasses. Mises à la disposition de tous gracieusement, partage et respect sont les règles tacites d’usage (la gestion des ordures, en revanche, n’est guère considérée et nous avons fait de notre mieux pour laisser l’endroit en meilleur état qu’il ne l’était).
Nous avons à peine terminé le transfert du camp précédent qu‘Ingkasi a dû retourner à Ittoqqortoormiit. Il lui reste juste assez d’essence pour rentrer se ravitailler au village. Raphaël part avec lui, afin de lui donner un coup de main, faire quelques courses de nourriture et ramener une partie du matériel scientifique. Ils partent tard dans la soirée. Les icebergs embrasés par le soleil couchant leur dessinent une voie royale au milieu des géants de glace.
Mais c‘est un petit growler, passé inaperçu dans la pénombre, que le bateau percute de plein fouet, le stoppant net dans sa course. Le moteur arrêté, le silence prend possession de la mer et redonne sa pleine mesure aux étendues du fjord. Rien de grave à première vue, et Ingkasi remet rapidement le moteur en marche. Arrivés de nuit à Itto, ils sortent le bateau de l’eau et récupèrent un peu de sommeil chez la sœur d’Ingkasi, qui occupe une petite maison proprette près de l’hôpital de l’autre côté du village. Le lendemain, les ravitaillements sont expédiés dans la matinée et les voilà de retour à Sydkap en fin d’après-midi.
Mais comme dans les grandes sagas nordiques, l’histoire ne s’arrête pas là. Le lendemain, Ingkasi est de nouveau préoccupé par son moteur dont l’alarme se déclenche de plus en plus souvent. Souhaitant en avoir le coeur net, il repart aussi sec pour Itto demander son avis au mécanicien. Et ne nous laisse guère d’autre choix que d’attendre de ses nouvelles et de compter les jours.
Il nous reste exactement une semaine avant notre départ de Constable Point pour l’Islande. Le compte à rebours a commencé.