C’est au coeur des glaciers du Renland, terre sauvage du Groenland, que les membres de Mission Scoresby sont tombés nez à nez sur les restes d’une ancienne expédition irlandaise. L’excitation des premières minutes a laissé rapidement place au dépit. Bien trop souvent, les expéditions laissent derrière elles des déchets, qui souillent des territoires pourtant déjà fragiles.
La découverte est inattendue. Sur notre longue route vers le coeur du glacier Edward Bailey, alors que nos yeux sont solidement rivés sur nos pieds fatigués, des couleurs inhabituelles accrochent notre regard. Entre d’énormes blocs de pierre marron se cachent trois pulkas roses, traces tenaces d’une ancienne expédition. Tout autour, des bidons. Les premières minutes sont alors excitantes : chaque récipient est scruté, examiné, analysé. Une question est au bout de toutes les lèvres : que contient-il ?
« C’est du matériel d’expédition hivernale qui contient des skis de randonnée, des pulkas, du matériel de bivouac sur neige et tout un tas de matériel médical. Il y a même de la colle pour les peaux de phoque, très inflammable et toxique. À ne pas laisser dans la nature. »
Eric Larose
L’excitation est donc de courte durée. Un sentiment partagé de dépit nous envahit. Sous nos yeux, s’étend une centaine de kilos de déchets, abandonnés au coeur de ce territoire immaculé, désormais souillé. Quelques indices nous laissent deviner l’origine de ce triste paysage : une expédition d’Irlandais, venus en 2011 passer plus de trois semaines dans le Renland. Sans doute mis en difficultés par des conditions extrêmes, ils ont été contraints d’abandonner sur place une partie de leur matériel.
Ce n’est pas une nouveauté. Depuis des décennies, les expéditions qui se succèdent laissent derrière elles un sol jonché de déchets. Ce phénomène qui touche particulièrement l’Himalaya a obligé les autorités à prendre des mesures radicales.
« De manière générale, le grimpeur vient avec un objectif. Une fois atteint son objectif, il a une sorte de perte de motivation, un ras-le-bol, une fatigue générale, qui mènent très souvent à des abandons. En Himalaya, le gouvernement oblige désormais les expéditions à ramener exactement la même chose qu’à leur arrivée. »
« Chez les scientifiques, c’est exactement le même topo. Il y a des expéditions qui ont laissé des quantités astronomiques de déchets, pourris, polluants, sur des calottes en Antarctique. C’est ce qui m’énerve de manière générale dans le petit monde de la montagne : on fait son trip perso et une fois terminé, on rentre chez soi. C’est juste désespérant. Je trouve ça minable. »
Evrard Wendenbaum
Quelles conséquences peuvent avoir à long terme ces déchets sur l’environnement ?
« Le plastique ne se décompose pas. Avec les UV du soleil, il finit par se casser en tous petits morceaux, les particules sont ensuite entraînées par la rivière et terminent dans l’océan. Un jour ou l’autre, elles terminent dans notre assiette. »
Eric Larose
UN CHOIX DIFFICILE
Rapidement, la décision est prise : un feu est improvisé au coeur des moraines, les déchets y sont brûlés, à l’air libre. Tandis que les flammes s’élèvent au ciel sous notre regard médusé, Evrard fixe les encombrantes pulkas, laissées au sol. Elles seront ramenées à notre retour, ainsi que les bidons. Evrard et Eric le savent : cette décision entraîne une difficulté nouvelle pour l’équipe, déjà épuisée par de longs portages.
On est obligés de trier, une partie qu’on laisse, qu’on brûle et une partie qu’on peut ramener. Ce ne sont pas des choix que l’on a envie de faire. C’est décevant. »
Eric Larose
ET NOUS ?
Mais sommes-nous tout à fait exemplaires ? Affirmer que nous n’avons pas d’impact sur l’environnement serait une ineptie. Seize personnes participent à cette mission, se déplacent en avion depuis la France et le Renland est à une journée de bateau. Quant à la nourriture, « on essaie de consommer bio ou local, et d’être économes. Mais on y arrive pas toujours », admet Evrard.
L’importance des comportements individuels est alors fondamentale. La règle est d’abord de ne rien laisser derrière soi, « c’est la moindre des choses », ajoute Evrard. Et de ramasser les déchets trouvés sur son passage, comme à Sydkap.
« L’impact est évident. L’idée est de le compenser, d’une part en mettant en valeur le site et en essayant de le faire protéger, d’autre part grâce aux actions menées dans différents coins de la planète. Si on voulait n’avoir aucun impact, il faudrait ne rien faire et vivre comme un ermite. On ne peut pas. L’idée est donc d’avoir le moins d’impact possible. »
Evrard Wendenbaum