Nous quittons le doux camp de Harefjord pour entamer en équipe réduite – puisque nous ont quittés les biologistes, les glaciologues et la journaliste – la dernière mission de l’expédition : la rencontre et l’étude des populations de narvals depuis le site de Sydkap situé à l’embouchure du grand Nordvestfjord où circulent les icebergs les plus gigantesques du Scoresby.
C’est dans une nuit de plus en plus obscure qu’un premier groupe constitué de Raphaël, Laurent et moi-même part avec la navette d’Ingkasi dans une longue traversée assez éprouvante car sans nulle autre lumière que le pâle reflet des icebergs éparpillés dans l’Øfjord (ikásakajik).
Ce couloir de mer obscur, très encaissé par des sommets de près de 2000m, nécessite l’attention constante de deux personnes à la barre pour pouvoir repérer, les yeux dans le vent glacial, le moindre gros glaçon qui dépasse et qui pourrait éventrer la coque de l’embarcation si nous venions à le percuter.
Après plusieurs heures de navigation dans le noir, figés par le froid autant que par nos encombrantes combinaisons marines, nous parvenons enfin face à la côte rocheuse tout au Nord du Jameson Land où, surprise, se détache dans la noirceur de la nuit, une cabane en bois qui réchauffe déjà nos cœurs. Nous allons nous établir dans cette sorte de refuge de montagne que les Inuits utilisent en période de chasse.
Du grand luxe après près d’un mois et demi de campement sous tente !
La mer agitée, le vent et les rochers hauts et glissants ne facilitent pas le débarquement du bateau en pleine nuit. Entre Ingkasi qui manœuvre sans cesse pour ne pas s’écraser sur ces murs de granit et nous qui jouons aux équilibristes pour décharger les kayaks, le tripode, les pulkas, bidons et autres gros sacs de transport… A la fin de toute cette délicate opération, lorsque je retourne sur le bateau pour un simple bout de scotch, à la suite d’une longue glissade sur les rochers : je termine ma course dans la mer.
Il est donc grand temps d’aller se « mettre au chaud » dans la cabane !
L’intérieur de cette maisonnette est moins idyllique qu’il n’y paraît. Nous pénétrons dans un vaste capharnaüm d’ordures en tout genre réparties dans toutes les pièces et comme il fait moins froid à l’intérieur, les odeurs sont ravivées.
Nous alternons entre la joie de trouver un évier – sans robinet – et la déception de devoir marcher sur des bris de verre partout ; l’extase de tomber sur un poêle à bois – en état avancé de décomposition mais fonctionnel ! – et l’amertume de devoir ranger toutes ces poubelles car le site est en fait presque insalubre.
Après une courte fin de nuit, le ménage commence ! Libérer au moins quelques espaces de vie, rassembler toutes les ordures dans une seule pièce (presque jusqu’au plafond) et commencer à prendre doucement possession des lieux.
On s’émerveille de la lumière du matin sur les icebergs à travers la vitre, du silence de ne pas avoir le vent dans les oreilles, on hallucine un peu aussi du mouvement, oublié, d’ouvrir des portes, de s’asseoir sur un banc en bois pour manger sur une table en bois dans une cabane en bois… Et on s’émerveille de la douce flamme qui allume le poêle.
Le reste de l’équipe arrive au fur et à mesure selon le même schéma : déchargement sportif du bateau, découverte des lieux et entrée dans la demeure qui devient de plus en plus chaleureuse. Il n’y a que deux « chambres » mais dans les combles il y a la possibilité de poser nos tentes. Etrange impression tout de même que de dormir sous tente et sous un toit…
A une petite heure à pied d’ici, nous atteignons un cap bien positionné pour servir de vigie et c’est du sommet d’un promontoire rocheux que nous effectuons tous les jours une surveillance visuelle de la mer à la recherche des mythiques narvals.
Cette veille ne nécessitant pas la présence de tout le monde, le reste de l’équipe s’affaire à réparer/bricoler, dormir (beaucoup pour certains) et surtout entamer un véritable chantier de nettoyage du site.
En effet, l’extérieur de la cabane est jonché de détritus et il est affligeant de réaliser qu’ici aussi, la présence de l’homme se manifeste d’abord par ses déchets… Des os, du verre, des cannettes, du fer rouillé et plus on s’approche de la cabane plus apparaissent les plastiques, cordes, emballages alimentaires et du papier toilette !
Histoire de laisser plus propre qu’à notre arrivée, nous ramassons tout ce que nous trouvons, incinérons ce qui est possible et rassemblons des déchets ultimes/calcinés dans nos bidons étanches. Le vent aura ainsi moins de détritus à disperser et, peut-être que les Inuits qui reviendront ici apprécieront ce geste et ce message porté à travers cette opération de nettoyage.