RECIT – C’est sur l’une des terminaisons du glacier Apusinikajik que nous nous sommes élancés, mercredi. Piolets en main, crampons solidement chaussés aux pieds, les yeux accrochés aux aiguilles coupantes des montagnes, et l’appréhension, suspendue au vide. Les jours précédents, certains avaient déjà visité les entrailles du glacier, en descendant dans son moulin en rappel, jusqu’à 30 mètres de profondeur. Là, une palette de couleurs bleutées s’offrait à eux dans cette gorge étroite et humide.
Cette fois – ci, notre terrain d’escalade est un cimetière d’icebergs. Jusqu’alors, nous faisions de ces menhirs de glace posés sur le sable notre « vue de luxe » ; ils nous semblaient immenses et peu d’entre nous imaginaient que nous allions les contempler, là, sous nos pieds.
En aval de la fin du glacier, de cette paroi de glace, quelques icebergs trônent encore sur ce qu’il reste du lac, formé avec la fonte des deux glaciers. Aujourd’hui, il n’en reste presque rien. Le lac s’est vidé très rapidement, par le bas, dans la rive droite du glacier ; Eric et Agnès pouvaient encore l’observer sur les images satellites il y a un mois.
Notre pont de neige franchi, nous voilà en haut du sommet. Baudriers et crampons solidement chaussés, la séance démarre en douceur : Evrard mène avec prudence cette initiation. Il guide, conseille, rassure car pour beaucoup d’entre nous, c’est une première. Pour moi, surtout.
Me voilà lancée, tremblante, mon coeur bat fort. Un bruit se fait entendre : sous mes pieds, un iceberg se casse et un pan de sa glace est englouti dans le lac. Le spectacle, grandiose, m’inquiète pourtant : les cinq mètres sont remontés à la hâte, avec les maigres forces qu’il me reste. Aurélie, elle, descend avec plus d’agilité tandis qu’au même moment, à sa droite, Olivier remonte cette vingtaine de mètres à la force des bras. Evrard, lui, guette attentivement ce ballet, patiemment, jusqu’à sa fin. Une fois tous assurés, pagaie en main, il se jette dans le petit bateau, et glisse sur l’eau, entre les immenses blocs de glace tandis que la lumière revient se plaquer contre les parois glacées.