Durant trois jours, Raphaël et Olivier ont décidé de faire le tour d’un petit massif montagneux, situé au Nord Ouest de Skydkap et dominé par le Pythagoras, sommet de 1376 mètres, qu’ils ont gravi. Raphaël raconte les deux derniers jours de cette aventure.
Après une journée difficile, ponctuée par une nuit finalement assez bonne, nous reprenons la marche le long du lac. Le cheminement se fait à travers un éboulement raide dont les gros blocs occupent toute la berge et masquent la suite du parcours, ce qui rend la marche pénible.
Nous passons le dernier cap de pierres et le paysage change du tout au tout : une toundra verdoyante et le Nordvestfjord azur succèdent à la grisaille du lac et de la roche. On semble avoir atteint un petit morceau de paradis, après l’enfer du pierrier… Comme Olivier l’avait espéré, une ligne d’ascension évidente s’offre à nous : montée sur une butte pleine de végétation, puis progression dans un pierrier et ascension d’un couloir instable où nous devrons utiliser les mains.
A posteriori, je considère le pied de la butte comme le vrai sommet de notre périple : il fait suite à des difficultés importantes, est le point le plus éloigné du camp, vers lequel nous ne ferons que nous diriger à partir de ce moment-là. Pourquoi le « sommet » serait forcément le point culminant finalement ?Nous réalisons cette ascension avec beaucoup de précaution, malgré le manque de temps. En effet, nous devrions nous dépêcher pour relever le défi de réaliser cette aventure en deux jours et demi, sachant que nous n’avons prévu les vivres que pour cette durée. Nous évoluons tout de même lentement parce qu’un paramètre primordial nous contraint : l’absence de secours accessibles, à plus d’une journée de marche du camp et sans moyens de communication. Donc aucune folie n’est permise.
Pour autant, nous n’hésitons pas à nous engager, afin de réaliser nos objectifs : le tour et la cime de ce petit massif. Les discussions cessent alors, chacun prend ses distances pour éviter de blesser l’autre en faisant chuter des pierres ; nous nous concentrons sur chaque pas, chaque prise.
Arrivés au sommet du passage, nous entrons dans un autre monde, plus froid et plus sombre que le long du lac, mais offrant une vue nettement plus dégagée : un plateau ondulé et encadré de montagnes.
Nous profitons quelques instants des derniers rayons de soleil de ce 1er septembre puis filons vers la succession de lacs qui mènent à la base du Pythagoras, notre objectif. En cette fin de journée, je ressens fortement les effets de la fatigue couplée au manque de sucre : plusieurs fois, je dois m’arrêter, boire et attendre que ma vue ne soit plus troublée. Nous poussons jusqu’au troisième lac que nous apercevons, juste sous le Pythagoras.
Comme pour atteindre le plateau, Olivier trouve rapidement une voie évidente et la décision commune de l’emprunter est prise : nous irons donc bien au sommet, après quelques doutes, quelques moments de découragement. Nous nous régalons d’un maigre dîner, pris depuis la tente et nos sacs de couchage, où nous sombrons ensuite rapidement.
Notre réveil est brutal : un fort vent se lève vers 5 heures du matin, mais nous prolongeons la nuit jusqu’à 6 heures, comme nous avions prévu. A 7h20 tout est plié.
L’ascension qui suit est rude : vent, froid, pierrier branlant, névés glacés, passage très raide dont on peine à voir la fin. Nous n’empruntons pas la voie naturelle, évidemment, nous sommes probablement les premiers à emprunter cette ligne d’ascension, voire même cette face. Mais nous n’avons pas le choix : le temps nous manque pour faire le tour de la montagne et l’attaquer par son point faible. Nous préférons la gravir dans une zone peu évidente, qui offre le chemin le plus court vers notre camp de Sydkap.
A proximité du sommet, peu avant 10h, je crois avoir eu le plus froid de toute l’expédition, malgré le soleil. Le vent est violent et il n’y a plus que de la neige, alors qu’on a tout juste dépassé les 1000 mètres d’altitude : on a parfois tendance à oublier qu’on est au Groenland !
Au sommet, nous ne restons que quelques instants. La vue est évidemment à couper le souffle ! La descente se fait ensuite par étape : dans la neige, puis dans un pierrier et enfin sur le plateau, mais de l’autre côté du sommet. Ce long plateau que nous avions parcouru le premier jour.
Nous prenons nos distances avec Olivier : celui-ci rentre directement au camp, pendant que je fais une pause dans un écrin de verdure, à proximité d’un torrent puis reprend la marche en direction de notre confortable cabane.