La traversée agitée à bord d’une navette n’a pas arrêté l’apnéiste Laurent Marie qui a décidé cette fois-ci de descendre dans la « gueule » du gigantesque glacier. Evrard et Yann ont partagé cette aventure.
De l’eau bleue électrique coule dans un toboggan de glace. Son débit sculpte une piste parsemée de belles courbes. Plus loin, l’eau pure tombe dans une dernière vasque pour se faire engloutir dans une mâchoire bleue 15 m plus bas, dans un fracas assourdissant.
Evrard a les yeux qui brillent, ce moulin actif l’inspire ainsi que toute l’équipe. Il souhaite descendre dans la gueule du géant pour explorer ses entrailles.
Quelques questions restent cependant en suspens…
Où l’eau s’échappe-t-elle ?
S’enfuit-elle au fond du glacier pour se jette dans la mer ?
À combien de mètres de profondeur ?
Communique-t-elle avec la mer, l’eau est-elle salée ?
Pourtant côté mer, face à la paroi, nous n’apercevons aucun exutoire.
Toutes ces questions suscitent la curiosité de tous.
Nous devons plonger !
« LA VIRTUOSE EQUILIBRISTE DU GLACIER »
Mais avant, nous nous restaurons pour nous réchauffer, prendre des forces et nous remettre du spectacle de Gaëlle « la virtuose équilibriste du glacier »
Sa grâce et sa légèreté nous ont maintenus en apesanteur. Le temps s’est arrêté, suspendu à un fil, elle nous a envoûtés par sa magie froide et aérienne.
En marchant sur sa « Iceline » de plus de 10 m de hauteur et d’une distance de 30 m, Gaëlle s’est imprégnée des entrailles secrètes du monstre, au-dessus de ses dents tranchantes et glissantes. Dans un autre axe, en contrebas. Elle marchait sur la montagne pour nous décrocher le soleil brumeux. Nous avons retenu notre souffle pour une longue apnée. Ingkasi a même pour l’occasion pris du recul sur son navire pour ne manquer aucun cheveu au vent de notre artiste en glace. À travers ses jumelles, je l’imagine observer ce qu’il n’a jamais imaginé.
METICULEUSE ORGANISATION
Nous finissons de manger. Evrard met en place le dispositif. Il est 18 heures. Au bord du moulin, il fixe trois broches à glace et décide d’établir une première reconnaissance. Ses crampons se plantent sur le bord et glissent le long de la corde. Les embruns de la cascade l’arrosent d’une eau gelée. Une heure plus tard, il remonte le sourire aux lèvres.
Evrard a l’idée de manoeuvre. Yann descendra le premier pour filmer. Mathieu assurera avec un dispositif de sécurité les images du haut du gouffre. Olivier s’occupe de la mise en place des Go Pro et prend des photos. L’équipe est réduite. J’enfile ma combinaison, je mousquetonne mes longues palmes à mon harnais. Evrard descend avec un packraft et mon caisson photo-vidéo pour immortaliser cette immersion. Yann descend, Evrard. puis moi.
Je suis excité malgré mon manque de connaissances en escalade. J’ai confiance en Evrard, il m’impressionne par la façon dont il gère son équipe, par son audace innovante au quotidien. Le fracas de la cascade rend toute communication presque impossible. L’objectif reste simple. L’équipe de Naturevolution me donne une chance incroyable celle d’explorer pour la première fois en apnée la face immergée d’un moulin de glace.
Euphorique, je salue Mathieu et Olivier par de grands gestes, je vois leurs sourires. Cette vision me donne de l’énergie, cela m’encourage. Derrière eux le ciel, sous mes pieds le froid et l’obscurité. Les trombes d’eau fracassent la surface de l’eau gelée. J’arrive au niveau de Yann et d’Evrard. Sa description était parfaite.
De part en part, j’aperçois deux failles. La première étroite finissant dans le noir. L’autre, plus large, avec au fond un amas de blocs de glace. Du packraft, je m’équipe puis me jette à l’eau. Je respire à la surface et profite du ballottage pour me relâcher. Mes inspirations profondes m’apportent de l’énergie, mes expirations lentes m’apaisent et me réconfortent. C’est le moment, je m’immerge et m’enfonce vers la faille de glace.
De chaque côté, de belles courbes bleues joliment polies par la force de la cascade m’accompagnent. Au fond, entre 6 et 8 m, une plage de sable noir. Des paillettes de sable volent, brillent dans un ciel d’eau pure. Je flotte dans le coeur du glacier, la tête dans une pluie d’étoiles qui filent librement dans le courant. Je suis émerveillé par cette poésie…
Une aspiration m’attire vers des entrailles ténébreuses. Au fond, une première faille de 2m de long de 50 cm de large m’entraîne vers une destination inconnue. Evrard me tient solidement par un bout de sécurité. Je continue l’exploration de l’autre côté et m’empreins de cet univers bouleversant; Je filme, photographie pour de futurs témoignages mais surtout pour partager. J’aurais tellement aimé qu’Evrard profite de cette immersion folle. Une autre fois…
Au bout d’une heure, il faut remonter ! Ils sont suspendus à leur corde et certainement trempés; Je remonte dans ma barque en plastique, heureux. Evrard aide Yann à remonter et me dit de l’attendre. C’est long, j’ai froid, je tire des bouts pour me réchauffer, tape sur la paroi avec mes pieds pour ne pas laisser le froid m’inonder. J’entends un bruit énorme et vois Evrard me crier quelque chose, et avec le vacarme je ne comprends rien. C’est peut-être une pierre, un morceau de glace auquel je viens d’échapper. J’apprendrai plus tard que c’était l’appareil de Yann qui est tombé dans la vasque.
Evrard arrivé, je tente de remonter. Mes pieds sont gelés. Avec mes moufles en néoprène, je fais de fausses manipulations. Evrard hurle mais je n’entends rien! j’enlève ma cagoule et suis ses directives avec difficulté. Son expérience, son recul finissent par me guider vers une lente remontée laborieuse.
Je profite quand même de la vision du tube de glace translucide avec des nuances de bleues et de vertes. C’est magnifique. J’arrive en haut, l’équipe me sécurise et éclaire Evrard, car la nuit est déjà tombée. Je l’attends avec impatience. Il remonte : OUF !
Nous parlons peu et démontons, rangeons tout le dispositif. Il fait froid. Quelqu’un s’exclame, un « renard polaire ». En effet, nos bruits ont peut-être suscité sa curiosité. Il s’approche une première fois avec ses petites pattes sur la glace, une deuxième, une troisième. Nous apercevons ses yeux ronds. Cette rencontre étonnante nous fait tous sourire.
Les sacs sur le dos, nous quittons le glacier au dessus de ses failles bleues de plus en plus sombre. Les lampes éclairent le géant, nous le quittons pour toujours. Il est plus de 22 heures, Ingkasi nous attend au bord de la falaise. À bord, pas un mot. Je regarde l’équipe et Evrard : je lui sourie ! Malgré la difficulté, nous venons en équipe de réaliser quelque chose de grand. Certainement une grande première dans l’exploration que nous avons poussée à son paroxysme, grâce à l’audace d’Evrard et aux multiples compétences d’une équipe bien constitué.
À notre arrivée au camp, Raphaël nous avait préparé un excellent repas.