DECRYPTAGE – Après le récit de son expérience inédite de la iceline, Gaëlle nous explique à quoi servent les enregistrements acoustiques sous-marins.
Au pied du glacier Vindue, au fond d’Harefjord, quatre ombres inhabituelles se détachent sur la blancheur du front de glace. Les premières, deux hommes moulés dans d’épaisses combinaisons qui les protégeront des eaux glaciales : Evrard et Laurent sont prêts à plonger pour la science. A côté d’eux, un assemblage de tuyaux et de câbles, monté sur un trépied de deux mètres de haut.
Dessus sont installés quatre micros « hydrophones », spécialisés dans l’enregistrement des sons dans l’eau. C’est cette structure de métal que Laurent devra aller poser au fond du fjord. Moi j’accompagne ce trio, postée sur un kayak. Responsable des mesures acoustiques sous-marine au nom de la Chaire CHORUS et de la Fondation Grenoble INP, partenaire de l’expédition, je vérifie que tout se déroule selon le protocole établi par les scientifiques qui n’ont pu se joindre à nous.
Nous nous rapprochons autant que possible du front du glacier. Il faut faire attention car toutes les 15-20 minutes de grosses écailles de glace se décrochent de la falaise de glace et s’effondrent dans l’eau dans un fracas assourdissant.
Grâce à ses capacités d’apnéiste, Laurent est capable de plonger à 25 m et d’y rester suffisamment longtemps pour positionner et caler correctement le trépied.
Pour se mettre en condition et sonder les fonds marins, Laurent effectue plusieurs apnées sans le matériel. Dix mètres, quinze mètres, vingt mètres, vingt-cinq mètres ! Ça y est, l’endroit idéal est trouvé. Mais tout les sédiments drainés par le glacier rendent l’eau très trouble, et la visibilité sous-marine est inférieure à un mètre. Pour pouvoir retrouver le trépied une fois la manipulation terminée, ce dernier est relié à une grosse bouée jaune qui, flottant à la surface, servira de repère.
Laurent s’enfonce dans les eaux glacées. Efficacement, il place la structure métallique supportant les hydrophones. Il émerge le sourire aux lèvres : mission accomplie ! Le trépied est placé correctement et va pouvoir enregistrer les sons émis par le front du glacier pendant les prochaines vingt-quatre heures. Laurent, lui, est près pour la prochaine aventure de la journée…
Régulièrement, des pans entiers du front du glacier s’effondrent dans un coup de tonnerre. Une de ces chutes fut si violente que sa puissance a réussi à déloger le trépied, pourtant bien ancré au fond de l’eau. Le lendemain matin, nous retrouvons ainsi la structure dérivante, portée par la grosse bouée jaune à laquelle elle était arrimée.
Ecoutez donc le doux pétillement d’un glacier …
… et ses effondrements !
EVALUATION ET SURVEILLANCE
La Chaire Chorus réalise des mesures acoustiques dans toutes les eaux du globe, afin de répondre à plusieurs questions concrètes. En Arctique, le réchauffement climatique bouleverse aussi bien la banquise que les glaciers, ainsi que la faune, notamment sous-marine.
Les enregistrements sonores peuvent apporter une nouvelle compréhension sur les changements que traverse cet environnement. L’acoustique sous-marine permet aussi de surveiller, voire même de prédire, les différents mouvements de la banquise et des icebergs.
Il est ainsi possible de mieux comprendre les écosystèmes arctiques où la glace est un facteur majeur. Dans le même temps, ces connaissances permettent de sécuriser l’activité maritime dans les eaux arctiques.
La chaire Chorus s’intéresse aussi à ce qu’on appelle le paysage acoustique marin. Il s’agit de l’ensemble des bruits générés par un environnement maritime : les vagues, les petits coquillages, les crustacés au fond de l’eau, les plus grands mammifères marins, etc.
Bruit de « fond » d’Harefjord :
Les fracturations d’un iceberg :
Grâce à la plongée effectuée devant le front du glacier, nous avons pu tenter un enregistrement sous-marin en trois dimensions. Sur le trépied, quatre micros différents enregistrent.
De la même manière que vos oreilles situent l’origine d’un son dans l’espace grâce à la différence du volume entendu, la présence de quatre hydrophones permet de situer dans l’espace tous les sons enregistrés
Cette manipulation nécessite forcément la présence d’un plongeur pour aller déposer le trépied au fond de l’eau. Aussi, afin de réaliser le plus de mesures possibles lorsque Laurent n’était pas encore là, un hydrophone simple amarré à une bouée a été utilisé.
Lors de l’expédition, cette bouée enregistreuse a pu être déposée auprès d’icebergs, au milieu de lacs sur la toundra, aux abords des côtes des différents fjords… L’équipe Naturevolution revient donc avec un panel de sons à étudier et à vous faire découvrir!